Arrivée en France en 2005, la cigarette électronique, ou e-cigarette, est devenue de plus en plus populaire ces dernières années. Bien que de nombreux ex-fumeurs pensent qu'elle constitue une alternative plus sûre aux cigarettes traditionnelles, certains hésitent encore à franchir le cap en s’interrogeant sur le rapport bénéfice/risque. Il faut dire que les grands médias TV, vendeurs de peur, associent régulièrement une image déplorable à la vapoteuse. La position du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) n’a pas aidé à l’améliorer et mérite qu’on s’y penche. Nous verrons ensuite ce que les pneumologues - médecins spécialisés dans le diagnostic et le traitement des maladies pulmonaires - pensent de la e-cigarette et de ses risques potentiels pour la santé.
La position ambigüe du HCSP vis-à-vis du vapotage
Dans leur avis du 4 janvier 2022, les experts du Haut Conseil de la Santé Publique prennent position concernant l’utilisation de la cigarette electronique comme outil de sevrage tabagique. Leur raisonnement est le suivant : bien que les risques du vapotage ne soient pas démontrés, il faut rester prudent. Ils avancent le fait qu’il existe trop peu d’études scientifiques démontrant l’efficacité de la vapoteuse en tant qu’outil de sevrage.
Au nom du principe de précaution, les médecins ne devraient pas recommander la ecigarette à leurs patients à la place de traitements officiels tels que les patchs et les gommes contenant de la nicotine. Pour autant, le comité consultatif affirme que la cigarette électronique peut être utilisée hors système de santé car son rapport bénéfice/risque peut représenter une aide pour certains fumeurs et contribuer à améliorer leur santé.
L’avis des pneumologues sur la e-cigarette
Le point de vue du professeur Dautzenberg
Selon le Pr Bertrand Dautzenberg, professeur renommé dans le domaine de la prévention tabagique, professeur honoraire Sorbonne Université (AP-HP), pneumologue et tabacologue à l’Institut Arthur Vernes (Paris), le HCSP adopte une position schizophrène. Un avis partagé par le Dr Anne-Marie Ruppert, de l’unité de tabacologie de l’hôpital Tenon (Paris), lors du congrès de la Société de pneumologie de langue française, le rendez-vous annuel de la spécialité auquel étaient conviés les pneumologues français, du 21 au 23 janvier 2022, à Lille.
Bertrand Dautzenberg affirme clairement sa réprobation : « Certaines conclusions ne sont pas des faits scientifiques, mais des opinions avec lesquelles je suis en désaccord. Alors que le Haut conseil décrit la vape comme un bon moyen de sevrage pour le fumeur souhaitant arrêter le tabac sans l’aide d’un professionnel de santé, il refuse au médecin la possibilité de la conseiller ! Quel médicament est bon lorsqu’il est pris en automédication et déconseillé lorsqu’il est prescrit par un médecin ? » Avec de nombreux collègues, nous avons acquis l’opinion que la vape est un outil d’aide aux victimes du tabac, qui est encore plus efficace s’il est intégré à la prise en charge par les soignants. Aucune étude scientifique citée par le HCSP n’évoque le fait qu’il soit nuisible que les soignants conseillent – entre autres moyens de servage – la vape. »
D’après l’éminent pneumologue, l’avis du HCSP « néglige que plus de la moitié des fumeurs qui passent à la vape l’arrêtent après un certain temps. Il ignore par ailleurs la baisse progressive, mais importante, de la consommation quotidienne de nicotine qui accompagne l’arrêt complet de la cigarette durant les trois mois qui suivent l’arrêt chez presque tous les vapoteurs, comme ceux qui sont sous patchs ou autres substituts nicotiniques. Dans ma pratique, près de 60 % de mes patients vapotent et sont en parallèle sous substituts nicotiniques ; l’immense majorité réduit les doses quotidiennes de nicotine après le premier mois sans tabac. La majorité stoppe la vape dans les six mois qui suivent l’arrêt du tabac. »
Pour synthétiser, l’exclusion de la vape diminue la qualité de prise en charge des fumeurs, privés d’un accompagnement professionnel. Un grand nombre d’experts considèrent que le vapotage doit être intégré dans la panoplie à disposition des médecins. Le professeur Dautzenberg donne un argument de poids pour illustrer son propos : « La cigarette fumée augmente le besoin de nicotine et maintient la dépendance, alors qu’avec la vape – comme avec les patchs et les gommes à la nicotine – le nombre de ses récepteurs (qui entretiennent la dépendance) chute chez 90 % des vapoteurs. Cela explique pourquoi la vape se pose comme un outil potentiel de sortie du tabagisme qui s’ajoute aux aides existantes ».
La position du président de l’association Santé Respiratoire France
De son côté, Frédéric Le Guillou, pneumologue-allergologue, tabacologue et président de l’association Santé Respiratoire France, se montre également critique vis-à-vis du Haut Conseil : « Je suis en désaccord avec l’avis du HCSP lorsqu’il déconseille aux médecins de l’utiliser car, la plupart du temps, nous nous trouvons dans le cadre d’une décision partagée, et de plus la e-cigarette n’est pas délivrée sur prescription médicale. Avec les substituts nicotiniques, on ne répond pas à 75 % des personnes en demande de sevrage tabagique. A partir du moment où un patient nous consulte et s’investit dans ce type de démarche, il est en droit de ne pas vouloir des substituts nicotiniques, dont on connaît les limites, et le professionnel devrait pouvoir lui proposer d’autres solutions. Cela vaut pour l’ensemble des méthodes qui peuvent aider au sevrage, à l’échelon individuel ».
La tribune des médecins du 4 mars 2022
Le 4 mars 2022 une tribune au « Monde » est publiée et cosignée par quatorze médecins et professeurs de médecine. Dans cette tribune, l’addictologue Benjamin Rolland et le pneumologue Sébastien Couraud, condamnent l’avis du Haut Conseil de la santé publique. Pour ces derniers, le refus de recommander l’usage de la cigarette électronique contre l’addiction au tabac n’est pas justifié et contre-productif.
Les spécialistes rappellent que l’addiction au tabac cause plus de 8 millions de morts chaque année (dont 75 000 en France). Heureusement, des substituts nicotiniques sont disponibles depuis un certain temps. Ces derniers présentent l’avantage de limiter les symptômes de sevrage et de favoriser durablement l’arrêt de la cigarette. Ils permettent aussi d’éviter les risques liés aux goudrons, au monoxyde de carbone, et aux autres produits issus de la combustion.
Les médecins mettent en avant que les cigarettes électroniques sont les moyens de substitution nicotinique les plus efficaces, selon le réseau de scientifiques Cochrane (organisation à but non lucratif reconnue sur le plan international). En effet, la revue Cochrane énonce qu’il existe « des données probantes d’un niveau de confiance élevé indiquant que les cigarettes électroniques avec nicotine augmentent les taux d'arrêt tabagique par rapport aux thérapies de substitution nicotinique ».
Ils poursuivent leur raisonnement avec cette idée de réduction du risque : une majorité de scientifiques et médecins estiment que les risques à long terme de la cigarette électronique sont infiniment moindres que ceux liés à l’usage du tabac.
Ainsi, la position adoptée par le Haut Conseil leur parait extrême : pourquoi refuser de recommander la cigarette électronique à des fumeurs face à la dangerosité avérée du tabac ?
Les médecins signataires de la tribune se penchent également sur les alternatives au vapotage. Les traitements nicotiniques de substitution (TNS) ont une efficacité prouvée mais ils entrainent un taux de rechute sur le long terme : 70% à 80% des fumeurs reprennent la cigarette.
Ce pourcentage élevé de rechute invite à la réflexion et les médecins estiment qu’il est parfaitement valable de recommander la cigarette électronique pour les fumeurs qui ne veulent pas ou n’arrivent pas à arrêter le tabac avec les TNS.
Conclusion :
Bien que la cigarette électronique soit commercialisée en France depuis bientôt 20 ans, les professionnels de santé déplorent le faible nombre d’études disponibles menées sur le long terme. Alors que le tabac tue 8 millions de personnes chaque année, on peut légitimement s’interroger sur le manque de volonté des pouvoirs publics pour mettre en place et financer de telles études. Heureusement, les études sérieuses réalisées à court et moyen terme sont rassurantes. Abstraction faite de cas particuliers d’utilisation de produits dangereux, notamment vendus aux Etats-Unis et au Canada, les médecins remarquent qu’aucune étude ne recense des décès ou des maladies graves directement liés à la vape. Face à la mortalité avérée du tabac, le rapport bénéfice/risque de la cigarette électronique est largement en faveur de cette dernière. Ainsi, la majorité des pneumologues s'accordent à dire que l’usage de la cigarette électronique avec du e liquide devrait pouvoir être officiellement recommandé aux fumeurs.